Les Flandres au temps de la guerre de Quatre-Vingts Ans (1568-1648)

La kermesse héroïque (1935) de Jacques Feyder (1885-1948)

Voici vraiment le genre de film qui prouve la justesse de l'intuition selon laquelle le cinéma français fut, quelque part entre 1932 et 1939, le meilleur du monde.
Le duo belge Feyder/Spaak s'est fait plaisir en reconstituant ses Flandres natales au temps des guerres de religion et de la lutte menée par les protestants des Pays-Bas méridionaux contre leur suzerain catholique espagnol. Si ces temps sont obscurs et violents, c'est, à l'encontre de la légende noire qu'on aurait pu imaginer, une pure fantaisie, admirablement française, qu'ont concoctée les auteurs. Dans cette petite ville, qui voit, apeurée, arriver l'armée des Habsbourg, les bourgeois se cachent et ce sont les femmes qui prennent les rênes du pouvoir. Elles ne vont guère combattre mais au contraire accueillir, avec toute l'habileté et la ruse de leur sexe, ces envahisseurs envers lesquels elles se révéleront vite favorablement disposées. Car les mâles et élégants Espagnols forment un contraste saisissant avec leurs bedonnants et bornés maris. On sait que ce parti pris (comique) a justifié la malheureuse fortune du film sous l'Occupation allemande (puisqu'il paraissait a posteriori justifier celle-ci), voire continue à agrémenter la légende américaine d'un peuple de froussards (de weasels). Mais c'est oublier que le film est avant tout une fantaisie, un marivaudage, une farce, ces trois registres apparaissant à tour de rôle et avec quelle virtuosité ! Admirables dialogues, pleins d'esprit ; comique de situation brillamment renouvelé à partir des motifs pourtant les plus éculés du théâtre de boulevard; splendeur de la reconstitution du monde plein de la civilisation flamande (avec de multiples reprises des tableaux de Van Dyke, Hals et évidemment Brueghel) : quel bonheur pour les yeux et l'esprit !