Alice & Renée

Lost Highway (1997) de David Lynch  

S'il fallait résumer l'histoire en une phrase, on dirait : "Un saxophoniste devient fou de jalousie après avoir appris les secrets du passé de sa femme, qui fit des pornos amateurs pour un gangster friand de parties fines. Après avoir tué sa femme et le gangster (qu'il suspecte d'être encore l'amant de celle-ci), il est condamné à mort".
Evidemment, dans ce qui est sans doute son film le plus noir et le plus mystérieux, Lynch s'amuse à détourner ce synopsis archétypal de film noir pour en faire un admirable condensé de ses obsessions (frontière vie réelle/rêve/ cauchemar; attrait pour les monstruosités cachées dans l'intimité des couples; fascination pour les mythologies américaines des années 1950; croyance en de mystérieux deus ex machina manipulant nos vies si ordinaires et tant dépourvues de libre arbitre). L'idée géniale est, comme dans une improvisation de jazz, de doubler le thème de départ par une variation reprenant le même thème mais avec des couleurs fort différentes. D'une certaine manière, cette second partie qui voit Balthazar Getty découvrir le passé de Alicia /Renée est chronologiquement antérieure à celle qui voit Bill Pullman consommer sa vengeance ; dans les faits, ce qui est remarquable et défie les explications trop logiques, c'est l'opposition tranchée entre le huis clos étouffant, lent, quasi muet de la première partie qui voit la folie du saxophoniste le dévorer et cette seconde partie, si "hollywoodienne" où Lynch sait manier avec brio les codes du néo-noir : action, vitesse, violence. On pense d'abord à la jalousie qui dévore Swann à la découverte du passé d'Odette avant de bifurquer vers un épisode inédit de Pulp Fiction.
Lost Highway ou comment réconcilier Antonioni et Scorsese en restant totalement lynchien. Un chef d'oeuvre.