Le ruban blanc (Palme d'Or 2009) de Michael Haneke

Un village allemand d'avant-guerre est secoué par des faits divers marqués d'une cruauté croissante : un médecin et son cheval trébuchent sur un câble qu'un malveillant a disposé sur leur chemin; l'enfant du nobliau local est kidnappé et battu; un enfant handicapé est victime de sévices. Comme masqués par ces faits publics et exposés au regard de tous, des violences plus ordinaires mais non sans conséquences se déroulent au sein des différentes familles. L'instituteur, un candide, nous narre ces événements sur lesquels il a enquêté.

Palme d'Or amplement méritée pour ce qui s'impose aisément comme le meilleur film de Michael Haneke. Au premier abord, on ne peut évidemment qu'être saisi par la beauté formelle sereine de l'ensemble : photographie noir et blanc tirant fortement sur les clairs et donnant aux plaines de Poméranie des allures d'île grecque, simplicité et classicisme de bon aloi des mouvements de caméra, reconstitution soignée mais pas tape-à-l'oeil du village - encore que les intérieurs des maisons paysannes me paraissent un rien trop bourgeois -, beauté hallucinante des enfants et adolescents du film. Ce cadre de l'Europe du Nord campagnarde d'avant 1914, la cruauté de certaines scènes de couple (inoubliable scène de rupture entre la sage-femme et le médecin) et la place occupée dans le récit par le rigoureux pasteur et son temple, tout cela ne peut manquer d'évoquer l'ombre de l'immense Ingmar Bergman, quelque part entre Cris et chuchotements et Fanny et Alexandre, mais le film est, dans son propos, totalement hanekien.
Comme dans presque toute son oeuvre, Haneke enquête sur le mal et ses origines. Cependant, alors que la jouissance qu'il prend à dépeindre violences et sévices m'a souvent empêché d'adhérer à ses films précédents, son sadisme et son voyeurisme me paraissent ici atténués. Si le défaut total de personnalité des enfants, écrasés sous la férule de leurs parents, introduit un aspect quasi fantastique au film (qui, sous cet aspect, rappelle le Vollage des damnés de Wolf Rilla, inspiré du roman Les coucous de Midwich de John Wyndham), Haneke a su introduire des nuances inhabituelles dans ses personnages adultes, qui sont moins des vecteurs de messages que des êtres complexes, qui ont leurs raisons (portrait subtil du pasteur, par exemple). Si ce parti pris évite au film de sombrer dans le schématisme et la démonstration , il n'explique pas totalement sa réussite, que j'attribue pour ma part à une ampleur romanesque nouvelle dans le cinéma d'Haneke. Au delà de son message brut, que ne renieraient pas les juges pour enfants et professionnels de l'aide sociale à l'enfance de notre beau pays (la perversité des enfants naît de la perversité des parents), "Le ruban blanc" est aussi et entre autres un brillant portrait des luttes de classes dans les propriétés latifundiaires des Junkers, un grand film policier et un mémorable film de couples (l'instituteur et sa promise, le baron et sa femme, le médecin et la sage-femme).

Il est très regrettable que Haneke, cédant à ses péchés mignons, ait proclamé urbi et orbi, que le film visait à démontrer que c'est l'éducation donnée à ces enfants qui expliquait qu'une génération plus tard ils aient fait des nazis zélés. Le film ne dit rien de cela et ce propos affaiblit sa portée. Remarquable au contraire est l'ambiguïté qui est préservée par le récit quant aux causalités : le poids de l'Eglise ou la brutalité des rapports sociaux n'expliquent pas seuls la rigueur de l'éducation donnée aux enfants et tous les enfants ne sont pas condamnés à reproduire les violences qu'ils subissent ou appelés à se rebeller contre elles (magnifique personnage du plus jeune fils du pasteur qui s'oppose à la fille aînée). L'aliénation est présentée comme résultant de facteurs individuels et collectifs, sans qu'un motif unique s'impose. Ce qui explique que ce film universel pourrait sans difficulté faire l'objet d'un remake fidèle le resituant dans un village pachtoune du Pakistan, dans une favela évangélique de Sao Paulo, dans une communauté de new born christians du Dakota du Sud. L'Allemagne n'a pas le monopole des villages de fous.
Ce très grand film reste longtemps en mémoire et est appelé à devenir un de ces classiques qui honorent le cinéma européen.

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