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Un parcours avec Osamu Tezuka 手塚 治虫 (1928- 1989) - Deuxième partie

15 Décembre 2021 Publié dans #Manga, #Japon, #Osamu Tezuka, #BD

Bouddha (1983) de Osamu Tezuka 手塚 治虫 (1928- 1989)

Paru entre 1972 et 1983, cet exceptionnel manga, que reproduit en 8 volumes l'édition Tonkam ici commentée, est l'une des plus grandes œuvres du genre et de son auteur, Osamu Tezuka. Même si la trame suit les épisodes bien connus de la vie du prince Siddhartha, de sa naissance jusqu'à l'Eveil, la prédication et le décès, l'ouvrage n'a rien de sulpicien. Le génie de l'ouvrage est en effet d'arriver à mêler une présentation correcte et précise du fondateur du bouddhisme, de sa philosophie, de son enseignement et une peinture enchanteresse du monde mythifié de l'Inde antique, dans le cadre propre au manga en général et à Tezuka en particulier (avec son humour et ses embardées narratives notamment).
Bouddha n'est en fait que l'un des personnages principaux d'un récit très ample et complexe. Au fil du récit, Siddhartha, inspiré par Brahma qui lui apparaît sous la forme d'un sage, va lutter contre lui-même, pour devenir un homme meilleur, et contre les machinations qu'ourdissent contre lui les héritiers de l'hindouisme, qu'il va un à un convertir à sa cause. Il en résultera de de multiples voyages, de nombreuses aventures, teintées de comique, de magie ou de tragique selon les cas - la peinture du système de castes ou des exercices de purification des ascètes étant d'une puissance exceptionnelle. On passera, avec bonheur, autant ou presque de temps avec Tatta, le petit intouchable qui deviendra un bandit de grand chemin puis le meilleur ami de Siddhartha, Devadatta, le petit génie du mal qui pense mieux que Bouddha fonder et développer la secte, Virudhaka,le prince complexé par sa naissance de sang-mêlé, Asaji, autre prince à qui il a été prédit qu'il tuerait son père, etc, etc.
L'œuvre, incroyablement riche et variée, ne suscite jamais l'ennui et suscite l'admiration permanente pour son auteur - et pour son personnage, dont la mort et la destinées sont déchirantes.

 

Demain les oiseaux (1975) de Osamu Tezuka 手塚 治虫 (1928- 1989)

Les prémices de ce manga publié entre 1971 et 1975 ne peuvent manquer de rappeler La planète des singes de Pierre Boulle, puisqu'ici comme là, les humains ont abandonné le contrôle des destinées de la planète à une autre espèce qui les a réduits en servitude. L'origine de ce changement est différente : chez Tezuka, ce sont des extra-terrestres évolués, qui, au vu des dégradations commises par les hommes sur leur environnement et des limites de leur civilisation, ont choisi de renverser le cours des choses en dotant nos oiseaux de nouvelles facultés (dont, évidemment, l'intelligence). Sur cette trame de base, et un peu sur le modèle de Fondation d'Asimov, l'illustre mangaka nous propose différentes saynètes, tantôt comiques, tantôt dramatiques, mettant en scène le développement de la civilisation des volatiles et la déchéance des humains: utilisation des humains comme artistes de cirque et de divertissement, apparition d'une figure christique intimant aux oiseaux de ne pas reproduire les erreurs des humains, révolte d'un petit groupe d'humains évolués, captation des techniques humaines, divergences entre oiseaux carnivores et insectivores...
L'imagination sans limites de Tezuka aurait pu conduire à développer le livre sur de multiples tomes mais l'ensemble reste dense et concis (300 p), comme il sied à un recueil de nouvelles, jusqu'à l'excellent twist final. Le message ne surprendra pas les connaisseurs de Tezuka : en reproduisant les mêmes erreurs que les hommes (prédation de l'environnement, corruption politique et économique, avidité pour les plaisirs, défaut de recherche d'une amélioration morale de la société), les volatiles courent à leur perte. Une autre espèce devra relever le gant...

Barbara (1974) de Osamu Tezuka 手塚 治虫 (1928- 1989)

L'histoire commence quand un romancier d'avant-garde aux mœurs sexuelles malsaines, Yosuke Mikura, croise dans les couloirs de la gare de Shinjuku une jeune fille à la dérive. Négligée et sale, alcoolisée, revêche, la jeune Barbara récite pourtant du Verlaine. Mikura la prend en affection et la loge chez lui. On va découvrir petit à petit que si cette jeune fille est "je m'en foutiste, capricieuse, touche-à-tout, un grain dans le cerveau, ivrogne, flemmarde, négligée, culottée en diable", l'art n'a jamais été autre chose et c'en est cela qu'elle est une muse. Mikura va enfin connaître le succès - jusqu'à la disparition de sa muse.
Dans un autre manga qui me paraît supérieur (La femme insecte), Tezuka imaginait une jeune fille qui pompait la créativité artistique de ses amants et les laissait plus bas que terre. Ici, c'est l'inverse : la figure de Barbara est celle d'une muse qui va transmettre talent et succès à ses conjoints. Il a cependant tout du brouillon d'essai pour des réussites antérieures, ce court manga (2 tomes), sorti en 1973-1974. Le pitch est attrayant mais plusieurs des thématiques qui sous-tendent le manga sont assez mal exploitées (l'occultisme, la sorcellerie d'une part, les relations auteur-éditeur d'autre part). Tezuka a un peu de mal à conclure son histoire et paraît parfois recourir à des procédés et figures familières (travestissement, réincarnation de la figure aimée) sans que le récit l'exige réellement. Le meilleur tient au livre dans le livre puisque le grand succès de Misuka n'est au fond que la fiction romancée de sa rencontre avec Barbara - et annonce sa conclusion.

Ayako (1973) de Osamu Tezuka 手塚 治虫 (1928- 1989)

Le Nord du Japon, en 1949.
La famille Tengé, de grands propriétaires terriens, a connu des jours meilleurs puisque les lois agraires promues par l'occupant américain les privent de terres qui sont transférées à leurs fermiers. Le patriarche, Sakuémon, mène d'une main de fer une fratrie complexe. Le fils aîné, Ichiro, a le même profil que son père mais attend son tour; la fille, Naoko, milite pour le parti communiste; le cadet, Shiro, paraît le seul élément équilibré de la maisonnée qui compte aussi deux jeunes filles, fruits des liaisons adultérines du père: une jeune simplette et la petite Ayako. Le drame commence quand revient des camps de prisonniers le dernier de la fratrie, Jiro. Celui-ci est le plus déséquilibré d'entre tous : il a trahi ses compagnons d'armes au profit de l'armée américaine et va assassiner, à la demande du contre-espionnage américain, le petit ami de Naoko, militant communiste. Pour cacher ses méfaits, la famille va multiplier les mensonges, les méfaits, les assassinats - sans que les moins corrompus de la famille parviennent à la remettre dans le droit chemin.
L'histoire rappellera immanquablement l'affaire Fritzl, du nom de cette famille autrichienne dont le père séquestra sa fille vingt-quatre ans durant - puisque l'histoire tourne autour de la séquestration de la petite Ayako. Et il faut préciser aux lecteurs que l'ambiance très glauque, la brutalité des situations, la noirceur des thèmes - rivalités familiales, inceste, crime - réservent l'ouvrage aux lecteurs avertis. Pour autant, Ayako n'est pas que le portrait d'une famille pathologique. Si les éléments fantastiques ou transformistes chers à Tezuka sont absents, on retrouve aussi ses thèmes permanents de la corruption des milieux d'affaires et de la politique, ici dans le contexte de l'occupation par l'armée de Mc Arthur du Japon d'après-guerre et, ce qui n'est pas si fréquent chez Tezuka, des luttes entre policiers et crime organisé.
Un très grand Tezuka, alors au pic de sa créativité (3 tomes, 1972-1973).

Kirihito (1971) de Osamu Tezuka 手塚 治虫 (1928- 1989)

Il serait aisé de voir dans ce manga écrit en 1970-1971 et 4 tomes une variante sur les thèmes transformistes chers à Osamu Tezuka. Et, de fait, il est question d'une mystérieuse maladie, la Monmô, qui déforme les traits du visage et les membres de ses victimes pour leur donner un air canin. En réalité, l'affaire est avant tout médicale et le sujet principal du manga est celui du mandarinat, de la compétition entre médecins, de l'égo des chercheurs.
Le professeur Tatsuga'ura, qui est le spécialiste de la maladie, penche pour une origine infectieuse. Mais ses deux plus brillants disciples privilégient une piste endémique. Or Tasuga'ura mène campagne pour être élu président de l'ordre des médecins et ne saurait courir le risque d'être déconsidéré. Il envoie le plus raide de ses adjoints, Osanaï, dans la vallée perdue du Japon où la maladie est endémique et s'arrange pour qu'il l'attrape. Il envoie le second, un opportuniste qui paraît déséquilibré, en Rhodésie, où une jeune religieuse blanche est atteinte du mal (ce qui contredirait la thèse endémique)...
Comme dans les meilleurs Tezuka, ce point de départ abracadabrantesque est stupéfiant de cohérence et de vraisemblance. Tezuka, qui avait étudié la médecine, nous offre même une magnifique opération d'une pancréatite et une explication finale de la maladie (un dérèglement de l'hypophyse généré par l'absorption d'eaux polluées par un quartz rare) plausible. Mais c'est surtout une magnifique cavalcade qui nous est proposée. Sur le thème rebattu de l'innocent persécuté et à la recherche de la vérité et de la vengeance, qu'il sait parfaitement présenter avec une étonnante richesse de motifs (merveilleuses scènes à Taïwan et en Syrie), Tezuka nous glisse ses obsessions coutumières (les pulsions sexuelles marginales, les transformations de l'identité, la collusion du pouvoir politique et de l'argent, la critique de la dégradation de l'environnement) au service d'un message merveilleusement humaniste et plein d 'espoir. Notre homme-loup et notre femme-renarde vont en effet reconquérir leur humanité déniée, au fil de leur combat. Un grand Tezuka.

Alabaster (1971) de Osamu Tezuka 手塚 治虫 (1928- 1989)

Un brillant sportif afro-américain tue accidentellement un homme et se retrouve en prison, après que son grand amour (blanche) l'a rejeté par racisme. Il rencontre en prison un vieux scientifique qui a construit un pistolet censé rendre invisible. Tournant l'appareil vers lui, notre héros devient un monstre défiguré qui va désormais vouer une haine sans bornes à l'humanité. Dans sa dérive, il bâtit une organisation criminelle où entre la propre fille de l'inventeur du pistolet qui, elle, est vraiment devenue invisible.
Publié en 1970-1971, au pic de l'activité créatrice de Tezuka (notion cependant relative, au vu de la graphomanie du bonhomme), cet Alabaster débute sous d'excellents auspices mais déçoit in fine. Les limites de ce manga tiennent à l'absence de subtilité dans la peinture du personnage principal (un bloc de haine, sans nuances) et, ce qui est rare dans les meilleurs Tezuka, une intrigue qui ne dévie pas du motif principal et patine fâcheusement passées les cinquante premières (et brillantes) pages. Notre Monte-Cristo moderne va précipiter sa petite bande vers un destin funeste sans que le lecteur en soit outre mesure affecté.
Un essai mineur dans l'œuvre du génial mangaka.

La femme insecte (1971) de Osamu Tezuka 手塚 治虫 (1928- 1989)

Au début de cette histoire, parue en 1970-1971, la jeune et charmante Toshiko Tomura paraît déjà au sommet du succès et de la notoriété puisqu'elle vient de recevoir le prix Akutagawa, l'équivalent japonais de notre prix Goncourt. Rodent pourtant autour d'elle des journalistes qui cherchent à percer les origines de cette modeste jeune fille venue de nulle part - mais aussi d'anciens et étranges soupirants. Toshiko avait rencontré un metteur en scène et était vite devenue l'actrice vedette de la troupe puis sa directrice ; elle avait ensuite séduit un jeune designer et s'était imposée comme la meilleure styliste de sa société ; elle avait enfin séduit un jeune romancier, brutalement décédé, avant la remise du prix Akutagawa. La demoiselle paraît disposer de la faculté d'absorber les talents des autres avant de les réduire au néant. Mais quelles sont ses motivations ? Le secret réside peut-être dans la modeste maison où elle a grandi et où elle entretient un étrange autel en l'honneur de sa mère...
Brillant manga du génial Osamu TEZUKA. On retrouve ici de multiples obsessions du grand auteur, notamment la peinture terrible de la corruption entretenue par les grands partis et grandes entreprises japonaises (puisque Toshiko va jeter son dévolu sur un haut cadre d'une société de sidérurgie qui passe des marchés juteux avec la Chine, la Corée et Taïwan) et les jeux sur l'identité et le travestissement. On reste, comme à l'habitude, ébahi par l'audace avec laquelle il aborde des sujets de société délicats ou tabous (ici, un avortement ou les violences faites par un "patron" à sa jeune geisha). Pour le reste, et même si le rythme reste, comme à l'accoutumée, trépidant, les rebondissements sont somme toute limités et assez convenus. Tezuka a en revanche soigné le graphisme, notamment les nus de sa très amorale et très belle héroïne dont on ne sait trop, à la fin de cette lecture, s'il faut la voir comme une victime des hommes ou comme une créature tellement perdue qu'elle est hors d'atteinte de nos principes moraux. On retrouve le même dilemme à la vision de l'excellent et homonyme (La femme insecte) de Shohei Imamura.

Le chant d'Apollon (1970) de Osamu Tezuka 手塚 治虫 (1928- 1989)

Publié en 1970, ce manga est l'un des plus déroutants et complexes du grand Osamu Tezuka.
Notre héros, Shogo, grandit avec une mère volage, qui ne l'a pas désiré. Il en conçoit amertume et ressentiment, qui se manifestent par les tortures qu'il inflige aux animaux qu'il croise. On décide de le placer en institution psychiatrique et de changer, un peu comme dans Orange Mécanique, son comportement. Le traitement ne se passe pas comme prévu puisque le jeune homme se retrouve (rêve ou réalité?) devant la déesse Athéna, qui le condamne à vivre des amours dans plusieurs vies, qui se concluront inévitablement par son décès ou celui de son amoureuse.
Tezuka présente donc dans ce manga plusieurs amours, plusieurs vies de Sogo, avec alternance de séances oniriques et de retours à la réalité. Ainsi, Sogo sera un soldat allemand sur le front de l'Est qui va aimer une déportée juive puis un Adam qui vit avec son amoureuse sur une île idyllique aux allures d'arche de Noé puis un tueur chargé de tuer la Reine d'une espèce de clones qui ont renversé le règne humain dans un futur proche.... Dans la vraie vie, et parallèlement, Shogo s'enfuit de son hôpital psychiatrique, commet différents méfaits et tombe amoureux d'Hiromi. Il sera condamné par Athéna à la retrouver et à la perdre dans chacune de ses incarnations, pour l'éternité...
Même s'il emprunte des chemins bien connus de l'œuvre de Tezuka (le thème de la différence sexuelle, l'oppression des institutions sur les individus, les allers retours entre drames historiques et futurs dystopiques...), le livre a pour sujet un thème qu'il n'a pas si fréquemment abordé : la nature de l'Amour, tout simplement. Il recourt par ailleurs à une structure cyclique ou en spirales, très familière aux lecteurs asiatiques ou imprégnés de bouddhisme, mais qui pourra déconcerter les autres. La tonalité est enfin résolument sombre : peu d'espoir qui perce, même dans l'épilogue.
Un grand moment de l'œuvre de Tezuka sans doute - mais un peu bancal ou inégal par moments, et pas totalement abouti dans l'ensemble.

 

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