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D'une certaine tendance de l'Université française

15 Novembre 2021 Publié dans #Sociologie, #Histoire, #Histoire contemporaine, #Sociologie historique, #Islam, #Jean-François Bayart, #Sciences humaines et sociales

L'Islam républicain (2010) de Jean-François Bayart

Drôle de fatras que cet ouvrage du politologue Jean-François Bayart. En étudiant la sociologie historique des Etats turc, iranien et sénégalais, l'ouvrage entend cerner les contours d'un islam républicain avec pour claire visée de démontrer la compatibilité, pour la France, de l'islam et de la République et de fustiger les extrémistes de la laïcité (et notamment les législations sur le voile). Pourquoi pas ? Las, l'œuvre souffre d'erreurs de raisonnement et de construction - et pèche par sa soumission à certains tristes canons des sciences humaines actuelles.

Erreur de raisonnement quand le livre décrit laborieusement (ou avec un luxe incroyable de détails, si vous aimez) le caractère strictement ethno-religieux de la construction des Etats contemporains turc et iranien, qui en est le fondement et même la condition - et entend en tirer des leçons pour un pays de tradition catholique et où des minorités d'implantation récente viennent compléter le socle de peuplement autochtone, soit une problématique radicalement différente. Il aurait été autrement plus intéressant d'étudier la condition des minorités dans les trois Etats considérés et le changement qu'a opéré dans leur traitement le passage des empires (ottoman, kadjar, français) à ces républiques.
Erreur de construction quand, à l'encontre des ambitions affichées, 60% du livre est consacré à la Turquie (dont la moitié à un résumé de l'histoire de l'empire ottoman), 30% à l'Iran et à peine 10% au Sénégal (pour y traiter surtout de la mémoire coloniale et pas du sujet visé) ; erreur de méthode encore quand de longs développements (sur les administrateurs ottomans, pompés sur Olivier Bouquet, sur les leaders iraniens actuels, directement pompés sur l'AFP...) sont très éloignés de la problématique et donnent l'impression de maladroits copier/coller d'articles ou revues de littérature.
Maladresses enfin dans le fond et la forme du propos. Bayart avoue benoîtement ne pas connaître le turc, le persan ou le wolof mais ça ne l'empêche pas de se lancer dans une longue analyse de l'histoire ottomane, d'étudier les origines linguistiques des concepts et d'en remontrer aux spécialistes ... Il habille cela avec une bibliographie habile (essentiellement citer des historiens locaux - mais toujours traduits en anglais), avoue sa modestie ("ne pas être qualifié pour juger si les massacres d'Arméniens constituent un génocide") avant de se contredire trois pages plus loin ("les massacres n'ont pas fait l'objet d'une planification centralisée mais doivent, pour des raisons politiques, être vus comme un génocide"). 
Et la modestie de l'auteur ne frappe pas le lecteur : il saupoudre de références hors de propos à Deleuze ou Foucault ses spécieuses analyses (il doit considérer que ça muscle l'argumentation) et, naturellement, n'aime rien tant que les paradoxes et la déconstruction des idées reçues que vous ou moi pourrions entretenir ('l'islam n'existe pas au plan historique ou sociologique', 'la Turquie kémaliste est un régime musulman', 'L'empire ottoman est un modèle de soft power et l'inverse d'un despotisme', etc, etc, etc). Et je passe sur le jargon (concaténation, quel joli mot ! Mais ne pas en abuser tout de même !).

L'amusant est qu'à force de vanter l'interdisciplinarité des sciences humaines et la nécessité d'une sociologie critique, on en arrive à ce type d'ouvrage qui rompt avec tous les principes de la rigueur scientifique qui devraient prévaloir à l'Université et ressemble à la prose d'un autodidacte qui voudrait nous délivrer un message politique. On pardonnerait, en soupirant, à un ancien ambassadeur, à un journaliste, à un politique en mal de reconnaissance culturelle - mais pas à un directeur de recherches au CNRS.

 

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