Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le grand roman américain, candidat #834

23 Juin 2021 Publié dans #Littérature, #Littérature américaine, #XXIè, #Jonathan Franzen, #Roman

Freedom (2010) de Jonathan Franzen

La sortie de l'excellent Purity (2015) a rappelé cette évidence : Jonathan Franzen est "le" grand écrivain américain contemporain - d'autant qu'il s'astreint à écrire, œuvre après œuvre, "the great american novel", somme totale qui dépeindrait sous toutes leurs facettes une génération et un moment de l'histoire américaine. Dans Freedom, telle est bien l'ambition derrière le masque apparent d'une histoire modeste, centrée sur un trio que l'on suit des bancs de l'université jusqu'à la cinquantaine.
Patty est le centre du trio. Brillante joueuse de basket-ball, fille de la bourgeoisie intellectuelle de la côte Est, elle va, après avoir été violée au lycée et avoir dû renoncer à sa carrière sportive en raison d'un accident, trouver une apparente quiétude (et liberté, croit-elle) en devenant mère au foyer dans le Minnesota et en se consacrant à l'éducation de ses deux enfants, Joey et Clarissa. Le mari qu'elle a choisi, c'est Walter Berglund, un homme bon et sympathique, aussi équilibré qu'on puisse être après avoir grandi dans une famille pauvre et alcoolisée du MidWest, marqué par une culture de gauche qui le pousse à défendre la décroissance et la préservation de l'environnement. L'ange noir et la dernière pointe du triangle est le meilleur ami de Walter, Richard, qui est aussi son parfait opposé : musicien de rock, bohème, séducteur, dilettante tant envers les femmes qu'à l'égard de son art.
L'histoire commence quand la santé mentale de Patty se fragilise, que Walter va rejoindre Washington pour diriger une fondation environnementale (financée par des producteurs d'énergie fossile...) et que Richard est en voie de clochardisation, faute de succès. Le premier chapitre, qui compte parmi les plus brillantes pages que nous ait données récemment la littérature américaine, est une description géniale des quartiers pavillonnaires de l'Amérique de George W. Bush - et un remarquable exercice de psychologie, l'accent étant mis sur l'astreignant effort sur soi qu'effectue Patty pour être une bonne mère, une bonne épouse, une bonne voisine. Le roman va ensuite, avec une déconcertante facilité, alterner flash-back de l'époque de la formation universitaire (années 1980), peinture pointilliste des parents et grands-parents du trio, aventures du jeune Joey qui démarre dans la vie avec des ambitions et une personnalité bien différente de celle de ses parents (puisqu'il va traficoter avec les entreprises qui se goinfrent de marchés publics dans l'Irak sous protectorat de l'après Saddam).
On peut évidemment faire de multiples reproches au livre : il serait trop long, trop dilaté, trop ambitieux; l'articulation entre le triangle intime amoureux et les grands enjeux collectifs de l'Amérique serait artificielle. Tout cela n'est pas faux mais c'est le genre qui l'exige. Pour ma part, je n'ai pas souvenir d'avoir lu, depuis Updike, une œuvre aussi maîtrisée et ambitieuse, qui donne aussi bien à voir ce qu'est l'Amérique (et la façon dont elle change) et ce qu'est l'époque - et qui, aussi et surtout, crée des personnages aussi inoubliables que Patty, Richard, Walter ou Joey, empreints de sincérité et de vérité, complexes et mouvants. Franzen n'est pas seulement un grand observateur de son pays et de ses évolutions; c'est aussi un artiste. Il y a dans ce roman de multiples pages qui m'ont fait crier d'enthousiasme et méritent l'éternité ( par exemple, dans une veine amère, le flirt de Richard avec le suicide; dans une veine comique, le pétage de plomb de Walter devant les paysans de Virginie qu'il a arnaqués).
Un contemporain capital que Jonathan Franzen.

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article