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Voyage dans les terres converties

3 Mai 2020 Publié dans #Littérature, #Essais, récits et enquêtes, #VS Naipaul, #Littérature britannique, #XXè, #Indes, #Islam

Jusqu'au bout de la foi (1998) de VS Naipaul (1932-2018)

Dans ses récits de voyage, Vidiadhar Surajprasad Naipaul (Nobel 2001) se présente comme un voyageur solitaire et sans attache, acharné à démasquer l'échec des discours tiers-mondistes et révolutionnaires, sans illusions sur la sincérité des hommes ou leur capacité à changer collectivement leur devenir. Avec ces récits désabusés des identités aliénées des décolonisés, Naipaul a inventé un genre, à la rencontre du journalisme, de l'anthropologie et de la fiction mais où s'exprime pleinement le tempérament de l'artiste. Jusqu'au bout de la foi (Beyond belief) qui le voit revenir sur les terres, déjà visitées vingt ans plus tôt (Le crépuscule de l’Islam / Among the believers, 1981), de peuples convertis à l'Islam (Indonésie, Malaisie, Pakistan, Iran), est un de ces très bons « récits de voyage ».

 

Le premier chapitre indonésien de l'ouvrage est un modèle du genre : les pages consacrées aux instituteurs javanais des années 40, pris entre madrasa et école pour cadres hollandaise, le portrait de cet ingénieur aéronautique, emprisonné pour islamisme sous Soekarno et devenu vingt ans plus tard le conseiller du prince, la promenade solitaire dans les ruines de Borodudur, le plus beau site bouddhiste d'Asie, laissé à l'abandon de la jungle par un peuple dont les références et les lieux saints se trouvent désormais dans le Hejaz, sont autant de pages magistrales, utiles pour la compréhension du monde contemporain certes, pour le plaisir littéraire que prodigue cette prose si précise, aussi.

En Angleterre, le livre avait été critiqué pour son manque évident de sympathie à l'égard de l'objet étudié. Mais il s'agit là d'une erreur de perspective. Tout citoyen britannique, prix Nobel et anobli par la reine qu'il était, Naipaul demeurait avant tout un décolonisé - et non un citoyen du monde qui aimerait à louer la diversité luxuriante de celui-ci. Le regard qu'il a porté sur l'Inde ou les Caraïbes était tout autant désabusé. Rebuté par la pauvreté culturelle et patrimoniale de ses Antilles natales, déconcerté par la réalité misérable d'une Inde que sa mémoire familiale avait magnifiée, ne trouvant pas sa place dans l'Angleterre cloisonnée où sa posture d'immigré patricien suscite l'hostilité des uns et des autres, Naipaul a fui ses trois patries pour parcourir le monde, considérant en bon hindou chacune de ses nouvelles migrations comme une nouvelle naissance. Mais une naissance solitaire, sans terroir où s'incarner, sans communauté où s'enraciner. Reste la littérature, comme seul compagnon dans cette quête sans dessein.

 

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